Audition colorée

L’audition colorée est une faculté d’association des sons et des couleurs

Par M. le Docteur Suarez de Mendoza, d’Angers. Document paru en 1891

M. Suarez de Mendoza vient de faire paraître étude sur les fausses sensations secondaires physiologiques, et particulièrement sur les pseudo-sensations de couleurs associées aux perceptions objectives des sons. Par fausse sensation secondaire, il entend la perception mentale, fausse, mais physiologique, de couleurs, de sons, d’odeurs, de saveurs, etc., qui n’ont rien de réel, sensation naissant d’une première perception objective ou de son évocation.
Les fausses sensations secondaires ont été observées dans le domaine des cinq sens généraux. Mais nous ne nous occuperons ici que des fausses sensations relatives à l’émission des sons de la voix humaine ou des instruments de musique. Tout bruit, tout son, soit perçu objectivement, soit mentalement évoqué, peut éveiller le phénomène, mais principalement la voix parlée, d’une intensité suffisante, comme la lecture à haute voix, la parole en public. Encore, faut-il ajouter que, dans le langage, ce sont surtout les voyelles qui déterminent la sensation lumineuse ou colorée, les consonnes n’ayant qu’une action très secondaire.

Comme les faits d’audition colorée sont, de toutes les fausses sensations secondaires visuelles, ceux qu’on observe le plus fréquemment, M. Suarez de Mendonza en donne tout d’alors la définition spéciale : « L’audition colorée est une faculté d’association des sons et des couleurs, par laquelle toute perception acoustique objective d’une intensité suffisante ou même sa simple évocation mentale peut éveiller et faire apparaître pour certaines personnes, une image colorée ou non constante pour la même lettre, le même timbre de voix ou d’instrument, la même intensité et la même hauteur de son. Cette faculté d’ordre physiologique se développe dans l’enfance et persiste généralement avec les années sans variations notables. »
Quelque étranges que soient les phénomènes que nous étudions et quoiqu’on n’ait pu encore plus leur donner d’explication satisfaisante, personne ne songe plus à les mettre en doute. Ils ont été observés un trop grand nombre de fous chez des personnes trop dignes de confiance avec des caractères d’analogie trop frappants, quoique chez des individus les plus divers, pour qu’on puisse suspecter la bonne foi et la sincérité des sujets qui les accusent.

Dans son ouvrage sur la théorie des couleurs, Goethe, qui cherchait une sorte de concordance entre les couleurs et les sons, nous apprend que Léonard Hoffmann, dans un ouvrage sur la même matière publié à Halle en 1786, donne des couleurs aux sons des instruments. D’après lui :

  • Le son du violoncelle est bleu indigo ;
  • Le son du violon est bleu d’outremer ;
  • Le son de la clarinette est jaune ;
  • Le son de la trompe est rouge vif ;
  • Le son de la flûte est rouge kermès ;
  • Le son du hautbois est rouge rose ;
  • Le son du cor de chasse est pourpre ;
  • Le son du flageolet est violet.

On sait que Théophile Gautier rendant compte un jour dans un feuilleton du journal la Presse des sensations qu’il avait éprouvées à la suite d’une absorption de haschisch : « Mon ouïe, dit-il, s’était prodigieusement développés ; j’entendais le bruit des couleurs. Des sons verts, rouges, bleus, jaunes m’arrivaient par ondes parfaitement distinctes. »

Le célèbre compositeur Joachim Raff déclara un jour, vers 1855, à un musicien de ses amis, que les sons des instruments lui donnaient des images colorées de différentes façons, comme ci-après :

  • Le son de la flûte lui paraissait bleu d’azur ;
  • Le son du hautbois lui paraissait jaune ;
  • Le son du cornet lui paraissait vert ;
  • Le son de la trompette lui paraissait écarlate ;
  • Le son du cromorne lui paraissait violet pourpre ;
  • Le son du flageolet lui paraissait gris noir ;
  • Les sons graves lui donnaient des images sombres et les notes élevées des nuances claires.

Le pianiste-compositeur Louis Ehbert, dans ses remarquables lettres à une amie sur la musique, publiées à Berlin en 1859, décrit ainsi ses impressions à l’audition de la symphonie en do majeur de Schubert : « L’air en la majeur dans le Scherzo est d’une chaleur ensoleillée et d’un vert si tendre, qu’il me semble en l’entendant respirer la senteur des jeunes pousses de sapin… Non ! En vérité, si la majeur ne dit pas vert, je n’entends rien à la coloration des sons. » Il y a dans le même auteur un passage semblable à propos du Songe d’une nuit d’été de Mendelsshon. Enfin un grand nombre de médecins ont, dans ces dernières surtout, recueilli des observations sur ce sujet et M. Suarez de Mendoza rapporte 134 cas.

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