Aesculape ou Esculape ou Asklépios

Esculape, biographie

1163 avant J.-C.
Nom d’un ancien personnage, sur le compte duquel on a débité un si grand nombre de fables qu’il est presque impossible de les séparer de la vérité, avec laquelle elles sont, pour ainsi dire, alliées. Cicéron dit qu’il y a eu trois Esculapes.
Le premier, qu’on adorait en Arcadie, était fils d’Apollon ; il est l’inventeur de la sonde et du bandage. Le second, qui était le frère du deuxième Mercure, fut foudroyé par Jupiter et inhumé à Cynosure dans le Péloponnèse. Le troisième était fils d’Arsippe et d’Arsinoé ; il inventa la purgation, et l’on dit qu’il fut le premier qui s’avisa d’arracher les dents.

- Daniel Leclerc, auteur de l’Histoire de la Médecine, prétend qu’il n’y a eu qu’un Esculape, qui était Phénicien, ou plutôt neveu de Chanaan, qu’il regarde pour être le même qu’Hermès. Selon lui, si l’on suppose un autre homme du même nom et de la même profession chez les Grecs, il n’a dû sa réputation qu’à l’erreur dans laquelle on est tombé en le confondant avec le Phénicien.

- Les Egyptiens rapportent qu’Esculape apprit la médecine d’Hermès, qu’’ils regardent comme l’inventeur de cette science ; et si l’on en croit Sanchoniathon, historien de la plus haute antiquité, Esculape et Hermès étaient cousins germains. On prouve ainsi leur parenté : Saduc ou Sadoc, frète de Misor, qui était père d’Hermès, eut premièrement sept fils qu’on a appelés Dioscures, Cabyres ou Corybantes, et un huitième qui fut Esculape, dont la mère était une des filles de Saturne et d’Astarté. Cette généalogie rend bien vraisemblable l’opinion de ceux qui veulent qu’Esculape ait appris la médecine d’Hermès. Au reste, il est évident par ce que dit Le Clerc, de qui on tient ce que l’on a avancé, que toute cette famille s’était appliquée à l’étude de la médecine ; car Sanchoniathon ajoute que les Cabyres eurent des enfants qui recherchèrent des remèdes contre la morsure des animaux venimeux, et qui se servirent d’enchantements pour la cure des maladies. On dira peut-être qu’il y a peu de fonds à faire sur l’autorité de Sanchoniathon, dont les fragments qui nous restent sont regardés comme des pièces supposées par Dodwel et Dupin. Mais on sait qu’il a écrit en phénicien l’Histoire de l’ancienne théologie et des antiquités de la Phénicie ; l’on sait encore que Philon de Biblos, qui vivait du temps d’Adrien, a traduit cette Histoire en grec, et qu’il nous reste des fragments de cette version dans Porphyre et dans Eusèbe, que Fourmont et plusieurs autres savants ont regardés, pour de bonnes raisons, comme des pièces qui portent l’empreinte de l’authenticité.
On lit dans les auteurs orientaux qu’Esculape fut disciple d’Edris, et les chrétiens d’Orient ont une tradition par laquelle il paraît qu’Enoch ou Edris est le même que le Trimégiste des Egyptiens.
Sur ce que les mêmes auteurs nous racontent d’Esculape, on est porté à croire qu’il donna naissance à l’idolâtrie. Esculape, disent-ils, après la mort d’Edris ou d’Enoch, éleva, à l’instigation du diable, une statue à son maître et son bienfaiteur, qu’il représenta avec une branche de guimauve à la main. Il visitait souvent cette statue, à laquelle il paraissait rendre des honneurs extraordinaires. Cette superstition passa d’Esculape à ses successeurs : on éleva d’autres statues à l’imitation de la sienne, et de là vint l’idolâtrie.

- Voilà tout ce que nous savons de l’Esculape égyptien ou phénicien. Quant à celui des Grecs, nous en avons un plus grand nombre de connaissances, mais elles sont toutes très-fabuleuses et conséquemment incertaines. On voit cependant, à travers les ténèbres qui les couvrent, qu’en cela, comme en bien d’autres choses, les Grecs ont eu la manie d’enlever aux Egyptiens leur mythologie, et de la déguiser par des fictions et des allégories pour se l’approprier.

- Cet Esculape passe pour le fils d’Apollon et de Coronis, ou, selon d’autres, d’Arsinoé, fille de Leucippe, roi de Messénie. Quant à Coronis, elle était fille de Phlégias, roi des Lapithes.

- Voici quelles sont les circonstances de la naissance d’Esculape, selon Pausanias : « Coronis, enceinte d’Apollon, allait avec son père dans le Péloponnèse, lorsqu’elle accoucha d’un fils sur le territoire d’Epidaure, où elle le laissa. Un berger du voisinage, s’étant aperçu que son chien et une de ses chèvres manquaient au troupeau, se mit à les chercher ; il les trouva auprès de ce enfant, la chèvre lui donnant la mamelle et le chien faisant le guet. Mais comme il vit de plus que cet enfant était environné d’un feu céleste, il conçut pour lui une grande vénération. » Pindare rapporte cette naissance autrement, et l’histoire n’en est que plus merveilleuse. Il dit que « Coronis, étant grosse d’Apollon, n’avait pas laissé que d’accorder des faveurs à un jeune Arcadien nommé Tschies ; qu’Apollon en fut si irrité qu’il envoya Diane, sa sœur, à Lacérie, ville de Thessalie où demeurait Coronis, pour y attirer la peste ; que Coronis mourut de cette peste, et, que Coronis mourut de la peste, et, lorsqu’elle fut étendue sur le bûcher, le dieu, se souvenant du gage précieux qu’elle portait dans son sein, y accourut, tira l’enfant du milieu des flammes, le porta au Centaure Chiron, et le chargea de son éducation. »
Voilà bien du merveilleux. Mais on a débité sur la naissance d’Esculape beaucoup d’autres fables, dont nous faisons grâce au lecteur, pour lui faire remarquer que plusieurs contrées se sont disputé l’honneur d’avoir donné le jour à ce personnage. C’était assez la coutume des Grecs par rapport aux hommes illustres, et tout le monde sait que sept villes se disputèrent la gloire d’avoir donné naissance au poète d’Homère. On convient unanimement qu’Esculape fut élevé sous la direction du Centaure Chiron, et que, par les leçons de ce grand maître, mais surtout par celles d’Apollon, son père, il posséda mieux que personne l’art de guérir les maladies. On convient encore que sa supériorité dans cet art lui mérita des autels, et qu’il ne fut mis au nombre des dieux qu’après avoir rendu de grands services aux hommes, en guérissant les ulcères, les plaies, les fièvres et les autres maladies par des enchantements, des potions lénitives, des incisions et des remèdes appliqués à l’extérieur. Ce fut aussi pas la grande connaissance qu’il avait de toutes les parties de la médecine qu’il fut trouvé digne d’accompagner la troupe des héros à qui on a donné le nom d’Argonautes.

- Les Grecs ne renoncèrent pas à leurs hyperboles dans ce qu’ils écrivirent sur la vie d’Esculape ; ils l’ont traitée avec les mêmes exagérations que celle des autres personnages qui ont illustré leur pays, et dont ils nous ont transmis les éloges. Selon eux, Esculape ne guérissait pas seulement les hommes les plus dangereuses maladies, mais il avait encore le pouvoir de ressusciter les morts. Ils citent la dessus un grand nombre d’exemples. Hippolyte fut le dernier à qui il rendit la vie, après que son corps eut été mis en pièce par son char. Ils ajoutent que Pluton se plaignit fortement de ce médecin, disant que, si on le laissait faire, personne ne mourrait plus, que les enfers seraient bientôt déserts ; et que, sur sa plainte. Jupiter tua Esculape d’un coup de foudre et avec lui Hippolyte ; mais qu’à la sollicitation d’Apollon,  il fut placé entre les astres sous le nom d’Ophiucus.

- Ce n’est pas tout. Il a fallu donner une femme à Esculape pour perpétuer la race de ce personnage chez les Grecs. Il épousa Epione ; selon d’autres, Hygeia ou Lambetia, et il en eut deux fils, Machaon et Podalire, dont Homère a fait tant d’éloges. Ses filles sont Aeglé, Panacéa, Jason, Remé et Acéso, auxquelles certains auteurs ajoutent Eriopis. On dit qu’elles s’appliquèrent toutes à l’étude de la médecine.

- Après la mort d’Esculape, on lui éleva un grand nombre de temples tant dans la Grèce que dans les colonies grecques. Schulze en compte jusqu’à soixante-trois, après Pausanias et d’autres écrivains. Les peuples y accouraient de toutes parts pour être guéris de leurs maladies ; le traitement consistait apparemment en des moyens fort naturels, mais qu’on déguisait par mille cérémonies aux malades : ceux-ci ne manquaient pas d’attribuer à la protection miraculeuse du dieu auquel ils s’adressaient ce qui n’était qu’un pur effet de l’habileté des prêtres.

- Le Romains, qu’on pourrait appeler les copistes de la superstition et de l’idolâtrie des Grecs, élevèrent aussi un temple à Esculape, qu’ils placèrent dans l’île du Tibre. L’occasion en fut bien extraordinaire, suivant le récit d’Aurelius Victor, historien latin du quatrième siècle. Rome et son territoire étaient ravagés par la peste ; dans cette désolation, on envoya dix ambassadeurs à Epidaure, avec Q. Ogulnius à leur tête, pour inviter Esculape à venir au secours des Romains. Les ambassadeurs y étant arrivés, comme ils s’occupaient à admirer la statue du dieu de la médecine, un grand serpent sortit de dessous l’autel, et, traversant le temple, il alla se jeter dans le vaisseau des Romains, et entra dans la chambre d’Ogulnius. Les ambassadeurs, comblés de joie à ce présage, mirent à la voile, et arrivèrent heureusement à Antium, où les tempêtes qui s’élevèrent alors les retinrent pendant quelques jours. Le serpent prit ce temps pour sortir du vaisseau, et alla se cacher dans un temple du voisinage qui était dédié à Esculape. Le calme étant revenu sur la mer, le serpent rentra dans le vaisseau, et les ambassadeurs continuèrent leur voyage. Mais, lorsqu’ils furent arrivés à l’île du Tibre, le serpent quitta pour la seconde fois le vaisseau et s’avança sur le rivage, où on lui battit un temple l’an 462 de Rome, et la peste cessa. C’était par le conseil des interprètes des livres sybillins qu’on avait envoyé cette ambassade à Epidaure.

- Ce qu’on vient de rapporter du fameux serpent qui se jeta dans le vaisseau des Romains paraît bien extraordinaire ; mais, dans le fond, c’était une grosse couleuvre que les prêtres du temple d’Esculape avaient eu soin d’apprivoiser, et qu’ils avaient accoutumée à se nicher dans le piédestal de la statue de ce dieu de la santé. On raconta de ce serpent toutes les choses merveilleuses dont on vient de parler, et le peuple les crut sans peine. « Au reste, dit le père Catrou, ce n’était pas la première fois qu’on eût tiré une de ces couleuvres du temple d’Epidaure ; déjà les Syconiens en avaient transporté une dans leur ville sur un char, et je ne sais quelle femme, nommé Nicagore, en avait été la conductrice. C'est ainsi que la fourberie grecque fournissait des Esculapes aux peuples qui voulaient bien se laisser tromper, et c’est ainsi que Rome en fut la dupe. »

- Pline dit que ce fut par une espèce de mépris pour l’art qu’Esculape avait inventé qu’on choisit l’île du Tibre pour lui bâtir un temple. Mais peut-on croire que les Romains n’avaient envoyé une ambassade solennelle à Epidaure qu’à dessein d’injurier le dieu dont ils réclamaient la protection ? Plutarque a donné une meilleure raison du choix que l’on faisait de certains lieux pour y bâtir les temples d’Esculape. Il a pensé que celui des Romains et presque tous ceux de la Grèce avaient été situés dans les endroits hauts et découverts, afin que les peuples qui s’y rendaient pour leurs maladies eussent l’avantage d’être un bon air. Il n’y a point de doute que ce ne fût à l’imitation des Grecs que les Romains placèrent le temple d’Esculape hors de leur ville. Il y a même encore une autre raison que celle de Plutarque, qui a porté les uns et les autres à donner la préférence à cette situation. Ils ne bâtirent aucun temple dans les villes, de peur que la foule des malades qui s’adressaient aux prêtres d’Esculape pour être guéris, n’incommodât les habitants. Ils éloignèrent même ces temples de l’enceinte des villes pour se mettre plus sûrement à l’abri des impressions qui pourraient donner atteinte à la salubrité de l’air qu’on y respire.

- On voyait dans le temple d’Epidaure la statue d’Esculape d’une grandeur extraordinaire ; elle était composée partie d’or et partie d’ivoire, et elle avait été inculpée par le fameux Thrasymède. Le Dieu était représenté assis sur un trône, tenant d’une main un bâton et s’appuyant de l’autre sur la tête d’un dragon, avec un chien à ses pieds.
On représentait encore Esculape avec une verge de pin à la main et un serpent à ses pieds. Le territoire d’Epidaure était fertile en serpents ; ces animaux n’y étaient point dangereux ; car on en nourrissait toujours dans le temple du dieu de la médecine, et ils servaient à transplanter ailleurs le culte de cette divinité.
Le bâton qu’on mettait à la main d’Esculape était, pour l’ordinaire, entortillé d’un serpent. Quelquefois on mettait un coq à ses pieds, pour symbole de la vigilance d’autrefois un aigle, symbole du jugement et de la longue vie. L’aigle était ordinairement à sa droite, et, à sa gauche, on voyait une tête de bélier, pour marquer les songes et les divinations. Quant au serpent, il entourait son bâton pour faire voir que la médecine est le soutien de la vie, mais qu’elle doit être exercée avec discrétion et prudence, dont ce reptile est l’emblème ; ou bien que cette science fait changer de peau, comme cet animal se dépouille de la sienne.
Mais revenons à la personne d’Esculape, et voyons si, à travers le voile dont on a couvert son histoire, on ne pourrait pas entrevoir quelque apparence de vérité. Sans avoir égard aux récits fabuleux que présente la théologie des Grecs sur son compte, on penserait volontiers que c’était un Phénicien qui, ayant étudié la nature avec succès, surtout cette partie qui a rapport à la médecine et à la pharmacie, se fit une grande réputation dans l’esprit de ses compatriotes. On est encore porté à croire que le nom d’Esculape n’est point le sien, mais celui dont les peuples qui connaissent sa capacité et ses talents l’avaient honoré ; car c’était assez la coutume chez les Orientaux de donner aux hommes d’un mérite supérieur un nom tiré des choses dans lesquelles ils excelleraient. Il en était à peu près de même chez les Romains, où les surnoms n’étaient si communs que parce qu’ils avaient la même origine que celle des noms chez les Orientaux. Il en faut cependant excepter les surnoms que la disposition de certaines parties du corps fit donner aux personnages de l’ancienne Rome.

- Ce fut par une suite de l’usage établi chez les Orientaux qu’Hermès reçut le nom de Siphoas, comme une distinction honorable et relative à ses grands talents ; les Grecs ont rendu ce nom par celui de Trismégiste. Les Egyptiens firent la même chose à l’égard d’Esculape ; ils lui imposèrent et à l’adresse qu’il montrait dans l’exercice de cet art. Ils l’appelèrent Askel-ab, le père de la science, suivant la coutume des premiers Orientaux, qui donnaient assez ordinairement à celui qui avait servi le genre humain par quelque découverte utile le nom de père de cette découverte. Jubal, le premier inventeur de la musique, est appelé dans les saintes Ecritures le père de tous ceux qui savent jouer de la harpe et des instruments. Tubalcain, qui sut le premier amollir et façonner le fer par le moyen du feu, y porte le nom de Abesta, ou de père du feu. Par une suite du même usage, celui dont nous parlons fut appelé par les Phéniciens, ses compatriotes, d’un nom relatif à ses talents, Askel-ab, ou père de la science et de l’adresse, nom que les Grecs ne tardèrent pas de corrompre, et dont ils firent Aesculapius.
On aperçoit aisément, à travers toutes les fables que les Grecs ont débitées sur le compte de ce personnage, qu’il fut un des bienfaiteurs du genre humain ; mais, pour se former une idée juste d’Esculape et de son caractère, il serait à souhaiter qu’on pût séparer exactement la vérité de la multitude de fictions dont elle est enveloppée. Nous allons essayer de le faire avec l’auteur du Dictionnaire universel de Médecine, d’où la meilleure partie de cet article a été tirée.

- Le lecteur nous permettra sans doute d’user du témoignage de ceux qui ont écrit sur la médecine ; car il est à présumer que, si quelqu’un a dû s’instruire de l’histoire réelle d’Esculape, ce sont apparemment ceux qui ont été exercé un art dont il est le fondateur. Celse est le premier qui en ait parlé. La fin de l’agriculture, dit-il dans la préface du premier livre, c’est de fournir des aliments au corps ; la fin de la médecine, c’est de lui procurer la santé. Il n’est point de partie du monde où cet art ait été parfaitement ignoré. Les nations les plus barbares connaissaient les vertus des plantes et d’autres remèdes que la nature semble présenter aux hommes, et dont les plus sauvages font usage lorsqu’ils sont malades ou blessés. Mais on peut dire que la médecine n’a fait nulle part de plus grands progrès que dans la Grèce ; on dirait que ce fut sa patrie ; elle y a fleuri longtemps avant que de fleurir parmi nous. Esculape passe pour en être le premier inventeur. Il dut les autels qu’on lui éleva aux efforts généreux qu’il fit pour donner à cet art, imparfait et grossier avant lui, une forme plus scientifique et plus irrégulière.

- On trouve dans Galien quelque chose de plus particulier sur Esculape. Si cet auteur eût été pardonnable de donner dans les exagérations de ses compatriotes, c’eût été dans cette occasion où il avait à parler du père de son art et du dieu de son pays. Cependant il a presque entièrement évité ce défaut. Esculape, le dieu de notre pays, dit-il, prescrivit des chansons, des divertissements et une espèce de musique à ceux qui, par une agitation d’esprit trop violente, avaient transmis dans leur corps plus de chaleur que la modération n’en comportait. Il conseilla à d’autres (et ceux à qui il donnait cet avis n’étaient pas en petit nombre) de chasser, d’aller à cheval et de s’occuper des exercices militaires. Il leur indiqua l’espèce de mouvement qu’il leur croyait plus salutaire, et, parmi les exercices militaires, ceux qui leur étaient convenables. Il ne pensait pas qu’il lui suffit d’avoir appris aux hommes le moyen de relever l’esprit de son abattement par l’exercice ; il leur montra encore à proportionner ce remède à la maladie et la nature de l’un à la nature de l’autre. De Sanitate tuendâ, liv. II, chap.8.
La vraie médecine forme des conjectures sur la nature ou la constitution du malade, et c’est ce que les médecins appellent idiosyncrasie ; mais tous conviennent que ce sujet de leurs conjectures est extrêmement difficile à connaître, et c’est par cette raison qu’ils font remonter l’origine de leur art à Apollon et à Esculape. Methodus medendi, liv. III, chap. 7.

- Les Grecs font descendre les arts du ciel. Ils furent, disent-ils communiqués aux hommes par les fils et les descendants des dieux.
C’est sur ce fondement qu’Esculape fut regardé comme l’inventeur de la médecine, qu’il avait apprise d’Apollon, son père, et qu’il enseigna aux hommes.
Quoique ceux-ci eussent avant lui quelque connaissance de la vertu des plantes, ce qu’on ne peut refuser au Centaure Chiron et aux autres héros de la Grèce dont l’éducation lui fut confiée, il s’en fallait bien que la médecine eût la forme d’un art. Aristée paraît avoir fait quelques expériences, de même que Mélampe et Polyidus. On peut encore prouver par Homère que les Egyptiens connaissaient d’autres remèdes que ceux qu’on tirait des plantes ; d’ailleurs, on est obligé d’avouer que l’ouverture des cadavres, que la coutume de les embaumer avait rendue nécessaire, a instruit les premiers médecins de plusieurs choses concernant la chirurgie et les opérations de la main. Accordons d’ailleurs au hasard quelques méthodes de guérir, comme l’opération de la cataracte qu’on doit à un bouc qui, étant attaqué de cette maladie, recouvra la vue par une épine qui lui entra dans l’œil. On dit que l’usage des clystères nous vient de la cigogne ou de l’ibis, qui, remplissant d’eau toute la longueur de son cou et s’insérant le bec dans l’anus, fait faire à l’un et à l’autre l’office de nos seringues. L’historien Hérodote nous dit que c’était la coutume d’exposer les malades dans les rues et dans les lieux les plus fréquentés, afin qu’ils pussent recevoir des avis salutaires de la part de ceux qui auraient été attaqués de leurs maladies. Et certes il est constant que, par ce moyen, la médecine faisait quelques progrès ; les expériences et les faits se multipliaient ; mais on ne voit point que la raison eût encore joué le moindre rôle dans la guérison des maladies. L’obligation qu’on eut à Esculape, ce fut d’avoir appris aux hommes à raisonner sur un objet aussi important pour eux que leur santé ; et c’est en posant les fondements d’une médecine raisonnée qu’il mérita le titre d’inventeur de la médecine en général. Les principes d’Esculape passèrent aux Asclépiades, ses descendants, comme une partie de l’héritage de leur aïeul. Entre ces descendants, il n’y en a point sous qui la médecine ait fait plus de progrès et sous qui elle ait eu plus de succès que sous Hippocrate, d’après Galien (dans son introduction).
En conférant les récits fabuleux des Grecs avec ce que nous venons de citer de Galien et de Celse, on pourrait former quelques conjectures, sinon vraies, du moins vraisemblables, sur le compte d’Esculape. Il paraît d’abord qu’il fut le fils naturel de quelque femme d’un rang distingué, qui le fit exposer sur une montagne située dans le territoire d’Epidaure pour pallier son crime et éviter les reproches ordinaires en pareil cas. Il tomba entre les mains d’un berger, dont le chien l’avait découvert ; car c’est assez la coutume de ces animaux, pleins de sagacité, d’avertir leurs maîtres, soit en arrêtant, soit en aboyant, de tout ce qu’ils rencontrent d’extraordinaire pour eux. En ajoutant à cet événement toutes les circonstances dont la superstition ne manqua pas de l’orner, nous retrouverions bientôt le fait tel qu’on le lit dans les auteurs grecs. Il est probable que la mère de cet enfant se chargea secrètement de son éducation, et le fit mettre entre les mains de Chiron, qui élevait dans ce temps-là tous les enfants de la Grèce qui avaient quelque naissance.

- Nous pouvons supposer que le jeune Esculape montra à Chiron des talents supérieurs ; et cette supposition n’est point contraire à l’expérience, puisque nous voyons tous les jours des enfants illégitimes que la nature semble avoir endommagés par là de l’obscurité de leur origine. Il est encore vraisemblable que le maître proportionna ses soins au mérite reconnu de son élève, et que l’élève, qui prévit que son esprit et ses connaissances seraient un jour toute sa fortune, tâcha de s’assurer cette ressource par son application aux leçons de Chiron. Peut-être aussi l’ambition s’en mêla-t-elle. Ne pouvant se promettre de faire dans le monde un rôle égal à celui que la naissance promettait à ses condisciples, ce fut un nouvel aiguillon pour lui. Toutes ces conjectures paraîtront moins chimériques si l’on considère que la vie de beaucoup de grands hommes contient quelques circonstances de cette nature. Esculape préféra donc de s’avancer à la fortune et à la gloire par le chemin que Chiron lui ouvrait que d’en prendre un autre vers lequel il n’était point entraîné par son génie. Il fit de la médecine son étude favorite, et il parvint à un si haut point d’intelligence dans cet art que ses compatriotes lui donnèrent le nom d’Esculape pour mettre en parallèle avec celui qui avait inventé la médecine en Phénicie, avec lequel il pouvait avoir d’ailleurs des rapports qui nous sont inconnus. Peut-être aussi fut-ce à Chiron même qu’il dut ce titre honorable. De quelque part qu’il lui vînt, tout concourut à en imposer à ses superstitieux compatriotes ; l’obscurité de sa naissance, jointe aux connaissances qu’il avait de la médecine, les engagea à lui donner Apollon pour père, et l’orgueil national en fit ensuite un dieu.
Voilà ce qu’il y a de plus vraisemblable par rapport à Esculape ; car on ne peut convenir, avec certains auteurs, que ce personnage soit de pure invention. Hippocrate fut un de ses descendants, et l’on produit une généalogie par laquelle il paraît qu’il était le dix-huitième en ligne directe. Si la chose eût été autrement, si les Asclépiades avaient été assez impudents pour appuyer de leur consentement un tissu de fictions, les médecins de l’île de Cnide, jaloux d’Hippocrate, n’auraient pas manqué d’exposer au public la fausseté de cette histoire. On sait d’ailleurs que les descendants d’Esculape ont régné dans la Carie depuis Podalire jusqu’à Théodore second, qui fut obligé de se retirer dans l’île de Cos, voisine de la Carie, lors de la descente des Héraclides. On pourrait ajouter l’observation suivante à tout ce qui vient d’être dit : c’est que, si la médecine n’eût pas déjà fait des progrès considérables lorsque Hippocrate parut, cet homme, tout habile qu’il était, n’aurait jamais eu assez d’expérience pour en déduire les règles que nous tenons de lui, règles dont nous éprouvons tous les jours la vérité, règles qui ne se sont point démenties dans l’espace de deux mille ans, règles sans lesquelles la médecine ne mériterait pas le nom de science, règles enfin dont on ose faire le plus grand éloge, parce qu’on est convaincu qu’il n’y a point en Europe de médecin qui connaisse sa profession et qui soit sincère qui ose le désavouer.

- Si l’on en croit ce que M. Goulin dit dans ses Mémoires littéraires et critiques pour servir à l’histoire de la médecine, Esculape ne vécut guère au-delà de l’an 2700 du monde.

MM Bayle et Thillaye. Biographie médicale par ordre chronologique. Paris Adolphe Delahais, 1855


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